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Anne Hidalgo : «La lutte contre le dérèglement climatique ouvre de formidables opportunités»
Dans une interview exclusive donnée à l’Agence Parisienne du Climat, Anne Hidalgo, Maire de Paris, explique son engagement pour le climat et son projet pour rendre Paris neutre en carbone en 2050.
Agence Parisienne du Climat (APC) : Le Sommet du C40 à Mexico vient de se terminer et vous avez pris vos fonctions de présidente de cette organisation, qui réunit les Maires des grandes villes du monde engagées dans la lutte contre le dérèglement climatique. Quelles décisions et engagements ont été pris au cours de ce sommet ?
Anne Hidalgo : Le C40 réunit 86 métropoles, qui représentent plus de 650 millions d’habitants. Dans les domaines de l’énergie et de l’aménagement, nous estimons que ces villes ont la possibilité de réaliser 40% des réductions d’émission nécessaires au succès de l’Accord de Paris. Le Sommet de Mexico a conduit à l’adoption d’une stratégie commune, qui va se traduire d’ici 2020 par la mise en place dans toutes nos villes de plans climats cohérents, dotés des actions nécessaires pour ne pas dépasser une augmentation de température de 1,5 degrés.
Nous avons également posé les jalons de deux actions collectives : l’appel à projets urbains « Réinventer les villes », sur le modèle à succès de Réinventer Paris, et « DataCity », une initiative s’appuyant sur l’expertise du NuMa pour mettre l’innovation technologique au service des villes durables. Enfin, nous avons renforcé le leadership des femmes face à ce défi majeur, en lançant l’initiative Women4Climate. À travers le monde, les femmes sont les premières victimes du changement climatique, mais aussi des actrices déterminantes pour contrer ce phénomène. Les négociations de l’Accord de Paris ont abouti grâce à des femmes leaders, et les femmes joueront un rôle essentiel dans la réalisation de ces objectifs dans nos villes.
Les femmes joueront un rôle essentiel dans la réalisation de ces objectifs dans nos villes.
APC : Qu’est-ce que ces décisions vont changer au concret pour la vie des Parisiens ?
Paris apprend en permanence de ces échanges avec les autres villes-mondes. Ce partage d’expertise – dans les domaines de l’énergie, du traitement des déchets ou encore des transports – représente un gain de temps précieux dans le déploiement de nos politiques publiques locales. Les nouvelles coopérations qui vont découler du Sommet de Mexico joueront donc un rôle d’accélérateur dans l’amélioration de la qualité de vie des Parisiens.
Je veux rappeler que la lutte contre le dérèglement climatique ouvre de formidables opportunités : amélioration de la santé, réduction des inégalités, développement de la place de la nature en ville, etc. Elle conduit à une ville plus apaisée et à la réappropriation de l’espace public pour de nouveaux usages : l’ouverture aux piétons et aux circulations douces des Berges de Seine en est l’une des plus belles illustrations. Enfin, elle est source d’attractivité et de développement économiques. Elle amène à investir dans des filières d’avenir, créatrices d’emplois. À elle seule, la rénovation énergétique des bâtiments a déjà permis de créer environ 5.000 emplois à Paris.
À elle seule, la rénovation énergétique des bâtiments a déjà permis de créer environ 5.000 emplois à Paris.
APC : En 2050, les deux tiers de la population mondiale vivront dans des villes, or celles-ci sont déjà à l’origine de 70% des émissions de gaz à effet de serre. Les villes sont aussi en première ligne face aux dégâts causés par le dérèglement climatique. Elles ont donc une responsabilité particulière dans la lutte pour le climat. Comment la Ville de Paris va-t-elle contribuer à la mise en œuvre de l’Accord de Paris, adopté il y a un an à la COP21 ?
Paris, en tant que ville hôte de la COP21, se doit d’être exemplaire et de donner l’impulsion. C’est ce qui a guidé mon action et celle de mon équipe depuis l’adoption de l’Accord de Paris, sans même attendre sa ratification par les États. En un an, nous avons lancé le programme Eco-rénovons Paris – qui a pour objectif la rénovation thermique de 1.000 immeubles privés –, nous avons déployé plus de 700 bornes de recharge pour les véhicules électriques, nous sommes passés à la 2e étape de notre plan de réduction des véhicules les plus polluants, nous avons doté plusieurs piscines de dispositifs innovants de production de chaleur, qui utilisent l’eau des égouts ou les émissions de data center… Nous avons également engagé la construction d’une nouvelle centrale solaire de 11.000m², sur un site d’Eau de Paris, et mené à bien l’appel à projets Parisculteurs, qui va permettre de végétaliser 5,5ha supplémentaires. Vous le voyez : dans tous les domaines de la ville, nous inscrivons nos actions dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et nous nous projetons déjà vers les étapes suivantes.
D’ici fin 2017, la Ville de Paris sera dotée d’un nouveau Plan Climat Air Énergie territorial 2020-2030, porté par mon adjointe Célia Blauel, en vue de tendre vers une ville neutre en carbone en 2050. La candidature de Paris aux Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 s’inscrit elle aussi pleinement dans ces objectifs, puisqu’elle prévoit des Jeux utilisant 100% d’énergies renouvelables, des bâtiments éco-construits, de l’agriculture urbaine au cœur du village olympique, l’amélioration de la qualité de l’eau de la Seine qui sera alors rendue à la baignade. Ces Jeux seront neutres en carbone, grâce à un dispositif de compensation avec des projets sélectionnés dans le monde entier.
Dans tous les domaines de la ville, nous inscrivons nos actions dans la lutte contre le dérèglement climatique
APC : Dix ans après l’adoption du Plan Climat Energie de Paris, La Ville de Paris élabore la nouvelle version de son Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET). Qu’est-ce qui a changé depuis 2007 ?
Avec l’aide de tous les Parisiens, des acteurs économiques, institutionnels et associatifs, de notre administration et de l’ensemble des groupes politiques du Conseil de Paris - les Plans Climat ont toujours été adoptés par les élus parisiens à l’unanimité – nous avons inversé la tendance. Entre 2004 et 2014, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de près de 10% sur le territoire parisien avec une accélération prometteuse ces dernières années. Dans les domaines de la mobilité durable, nous avons réduit les émissions de CO2 de près de 40% en 10 ans et de plus de 50% sur la majorité des polluants atmosphériques dont les particules fines, ce qui a aussi un impact significatif sur l’amélioration de la qualité de l’air.
Concernant les bâtiments, le Plan Climat a permis la rénovation de plus de 30.000 logements sociaux dont la consommation énergétique a été réduite de plus de 30%. Chaque famille a gagné de l’ordre de 360€/an sur sa facture énergétique. La ville se renouvelle avec des éco-quartiers qui sont tous des modèles de territoire bas carbone. Lors de la COP22 à Marrakech, la ZAC Clichy-Batignolles s’est ainsi vue attribuer le prix mondial de l’éco-quartier. Je veux d’ailleurs rappeler que ce quartier exemplaire est un héritage de la candidature de Paris aux Jeux de 2012.
Avec un plan alimentation durable dédié aux 30 millions de repas servis chaque année dans sa restauration collective, Paris est aussi devenue le 1er acheteur public en France de produits d’agriculture biologique. C’est bon pour le climat et bon pour la santé des Parisiens.
Dans les domaines de la mobilité durable, nous avons réduit les émissions de CO2 de près de 40% en 10 ans.
APC : La nouvelle version du Plan Climat Air Energie vise à faire de Paris un territoire neutre en carbone en 2050. Comment traduire cet objectif lointain de manière concrète, à court terme ?
Il faut d’abord se projeter, réfléchir ensemble. C’est pourquoi mon équipe et moi avons voulu une concertation large, avec tous les acteurs de Paris. Les citoyens sont au cœur des débats. Depuis début novembre, la plateforme « Madame la Maire, j’ai une idée ! » est ouverte pour recevoir toutes les propositions [N.D.L.R. Cette concertation citoyenne a depuis été clôturée début mars, avec 280 propositions]
D’ici fin février 2017, nous allons consulter tous les acteurs du territoire, en lien avec la Métropole du Grand Paris, pour écouter et construire ensemble une ville bas carbone résiliente et inclusive en 2050. L’APC conduira d’ailleurs la consultation d’une partie des acteurs économiques du territoire. Il faut oser confronter les avis, regarder et partager avec les autres villes-monde membres du C40 comment elles répondent elles aussi à ces défis. De Londres à Rio, en passant par Séoul et San Francisco, il y a d’excellentes idées dont nous devons nous inspirer. À partir de ces éléments, de cette vision partagée, nous allons construire un programme d’actions concrètes de 2020 à 2030.
APC : L’Agence Parisienne du Climat a été créée par la Ville de Paris en 2011 pour mobiliser les acteurs du territoire afin qu’ils contribuent à la dynamique du Plan Climat. Quels sont aujourd’hui les acteurs prioritaires à mobiliser pour accélérer le mouvement ?
L’Agence Parisienne du Climat est LE guichet unique d’information des Parisiens sur la rénovation énergétique. Vous avez pris à bras le corps l’accompagnement des copropriétés, et développé des outils comme le CoachCopro® pour l’accélérer. Le défi demeure, il y a plus de 40.000 copropriétés à rénover d’ici 2050, plus de 1 000 par an ! L’APC est moteur pour la valorisation des bonnes pratiques sur le bâtiment, mais aussi sur la mobilité durable, les plans de déplacements d’entreprises, les nouvelles alimentations et l’efficacité de la logistique urbaine.
Pour accélérer le mouvement, je compte aussi sur de nouveaux acteurs. Il y a la Métropole du Grand Paris, qui est l’échelon pertinent pour mettre en cohérence les politiques d’aménagement et de développement conduites par les villes. Je sais Patrick Ollier, son président, très engagé sur la question climatique. Il a été à l’initiative du premier sommet mondial « Cities for air », qui a conduit à la création d’un Observatoire mondial des villes sur la qualité de l’air, en lien avec l’Organisation mondiale de la Santé. La Métropole a aussi décidé de participer aux travaux du réseau « 100 Résilient Cities », pour un Grand Paris résilient, notamment face aux effets du dérèglement climatique.
Par ailleurs, j’ai lancé un appel au secteur de la finance. Je veux faire de Paris la place de la finance verte. Aujourd’hui, 70% des investissements dans la transition énergétique et la mobilité proviennent du secteur public. Une plus grande part de la finance privée doit être orientée vers la transition énergétique. Par humanisme, altruisme et conviction écologique, mais aussi par ambition économique. Car elle ouvre de nouveaux marchés, des activités liées aux nouvelles façons de se transporter ou de se loger. Et une ville comme Paris constitue un environnement sécurisé pour ces investissements.
L’APC est LE guichet unique d’information des Parisiens sur la rénovation énergétique.
APC : Quelle est la place du citoyen dans la réussite du Plan Climat ?
Nous travaillons pour eux. Ils sont les premiers acteurs pour changer nos modes de vie et permettre d’atteindre la neutralité carbone. Ils ont une place centrale dans la réussite du Plan Climat. Ce sont les premiers que nous avons consultés pour l’élaboration du nouveau Plan Climat, dès septembre 2016, dans le cadre de la conférence citoyenne. Je tiens d’ailleurs à ce que leurs idées et leurs recommandations soient présentées au Conseil de Paris début 2017. Avec mon équipe, nous allons continuer à travailler avec eux et à leur expliquer ce que nous faisons au quotidien. L’APC en est un bon relais pour cela.
Les citoyens sont les premiers acteurs pour changer nos modes de vie et permettre d’atteindre la neutralité carbone.
APC : Le Plan Climat a fixé en 2007 des objectifs pour 2020, notamment de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25% par rapport à celles de 2004. En 2014, les émissions avaient baissé de 9,2%. Quels sont les leviers d’accélération pour être sur la trajectoire de 2020 ?
L’accélération a déjà commencé. En 2008 nous financions la rénovation de 1.500 logements sociaux par an, en 2016 nous en finançons 4.500 par an. Entre 2007 et 2014, nous avons rénové 100 écoles, sous cette mandature nous en rénoverons 200. Cette année, nous avons dépassé les 50% de part d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l’Administration, dépassant de 20 points l’objectif, et cela avec 4 ans d’avance. L’accélération est aussi en cours dans tous les éco-quartiers : nous avons dépassé les phases d’études pour entrer dans les phases de réalisations et d’innovation. J’ai donc confiance en notre capacité collective à atteindre les objectifs fixés.
Le programme Eco-Rénovons Paris s’appuie sur l’APC, confortée comme guichet unique de la rénovation énergétique sur le territoire parisien. Quel message souhaitez-vous adresser aux copropriétaires parisiens qui hésitent à s’engager dans un projet de rénovation énergétique ? Et aux professionnels du secteur ?
Allez-y ! C’est maintenant qu’il faut le faire ! Au pied du mur, dans 5 ans, dans 10 ans, cela vous coûtera beaucoup plus cher. Vous pouvez bénéficier aujourd’hui d’un accompagnement gratuit et d’excellente qualité, tout au long de votre démarche, et de subventions de la Ville pour les travaux (sous conditions de ressources et de performances atteintes). Pourquoi attendre, alors que les gains sont connus et importants, tant en terme de confort que de réduction des factures énergétiques ? Je dis aussi aux professionnels : innovez ! En innovant techniquement, vous faciliterez les chantiers confrontés à des contraintes importantes : appartement occupé, m² précieux, esthétique extérieure, recyclage des matériaux… Cette innovation doit aussi porter sur les méthodes de financement.
APC : Quel message souhaitez-vous adresser aux Parisiens pour qu’ils deviennent acteurs au quotidien de la lutte contre le changement climatique ?
Ils le sont déjà et je les en remercie. Nous devons continuer à amplifier ensemble nos actions. La transition de Paris vers une ville neutre en carbone et 100% d’énergies renouvelables n’est pas seulement une politique environnementale, il s’agit d’un projet de société, pour faire de Paris une ville plus agréable où il fait mieux vivre et où nos enfants peuvent grandir et s’épanouir dans les meilleures conditions.