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Biodiversité (1/2) : pourquoi on en parle ?
Entre la parution du rapport du GIEC en août et la COP26 en novembre, cette année semble être celle du climat. Pourtant, la séquence est tout aussi décisive pour une autre crise environnementale majeure : celle de la biodiversité. Dans cet article, on vous explique pourquoi il est important de ne pas occulter la biodiversité, en particulier quand on parle de climat ou de politiques urbaines.
Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé plusieurs expert·es :
- Nirmala Séon-Massin, directrice de l’expertise au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN)
- Joël Amossé, responsable du groupe nature en ville, et Damien Carat, responsable d’études biodiversité en ville au Cerema
- Agnès Hallosserie, responsable département Coordination européenne et internationale, et Robin Goffaux, chargé de mission « biodiversité et agriculture » et co-point focal national pour le SBSTTA de la Convention pour la diversité biologique (CDB), à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)
La biodiversité, c’est quoi le problème ?
La biodiversité désigne la diversité des êtres vivants : celle des écosystèmes (diversité écosystémique), des espèces (diversité spécifique) et des gènes (diversité génétique) ; ainsi que la diversité des interactions entre l’ensemble de ces êtres vivants.
Le dernier rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), souvent décrite comme « le GIEC de la biodiversité », donne des éléments pour comprendre l’importance de la biodiversité, mais aussi l’ampleur de la crise qui la touche, et ses causes.
La biodiversité est essentielle à l’espèce humaine, que ce soit :
- Pour son alimentation (plus de 75 % des cultures alimentaires mondiales reposent sur la pollinisation animale)
- Pour ses besoins en énergie (plus de 2 milliards de personnes répondent à leurs besoins primaires en énergie grâce au bois),
- Pour se soigner (70 % des médicaments utilisés pour traiter les cancers sont des produits naturels ou des produits de synthèse inspirés par la nature)
- Pour maintenir la qualité de l’air, de l’eau et des sols
- Mais aussi pour atténuer les aléas naturels et réguler le climat (on y reviendra)
- Sans oublier ses services immatériels (apport émotionnel, rôle culturel…)
les activités humaines actuelles ont des impacts majeurs sur la biodiversité, à tel point qu’un quart des espèces animales et végétales seraient menacées d’extinction, soit environ 1 million d’espèces, toujours d’après l’IPBES. Le rapport Planète Vivante du WWF montre quant à lui un déclin moyen de 68 % des populations de vertébrés depuis 1970. L’effondrement des populations est inédit, à tel point que l’on parle de sixième extinction de masse. Sans oublier la question de l’appauvrissement génétique : par exemple, lorsque la population d’une espèce diminue ou que son habitat est fragmenté, un plus petit nombre d’individus se reproduisent entre eux. Cela réduit la diversité des gènes au sein de l’espèce, et ainsi sa capacité d’adaptation au changement.
En cause, cinq pressions majeures, avec dans l’ordre d’importance décroissant :
- La destruction des habitats naturels (75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative)
- L’exploitation directe des espèces
- Le changement climatique
- Les pollutions (rejet de polluants dans l’air, pollution marine par les plastiques, pollution des sols par les pesticides et les mollécules toxiques…)
- Les espèces exotiques envahissantes (près du cinquième de la surface terrestre est menacé par des invasions végétales et animales nuisibles aux espèces endémiques)
L’identification de ces cinq facteurs de pression, une des forces du dernier rapport de l’Ipbes, est particulièrement importante pour l’action, explique Robin Goffaux (FRB), parce qu’on sait qu’on aura un effet beaucoup plus efficace si on s’attaque aux pressions plutôt qu’à un état, ces pressions étant plus facilement identifiables et mesurables que l’état de la biodiversité qui nécessite de multiples observations de terrain.
En savoir plus sur naturefrance, le service public d’information sur la biodiversité
Quel rapport avec le climat ?
Changement climatique, érosion de la biodiversité : deux crises liées
Les crises du climat et de la biodiversité s’autoentretiennent. Comme vu précédemment, le changement climatique est un des 5 facteurs de pression sur la biodiversité. Et les dégâts s’intensifieront à mesure que la température s’élèvera. D’après le rapport spécial du GIEC sur le réchauffement de 1,5 °C, celui-ci entraînerait une perte de plus de la moitié de l’habitat naturel pour 4 % des vertébrés, 6 % des insectes et 8 % des plantes. A 2 °C, ces chiffrent grimpent à respectivement 8 %, 18 % et 16 %. Inversement, la perturbation et la destruction des écosystèmes aggravent le changement climatique, puisqu’ils séquestrent environ 60 % des émissions anthropiques de carbone d’après l’IPBES. On pense bien évidemment aux arbres, sans oublier les sols et les océans. La faune aussi joue son rôle, à l’image de la baleine qui, d’après une étude publiée par le FMI, permet de séquestrer autant de CO2 qu’un millier d’arbres, en fertilisant le phytoplancton et en accumulant du CO2 tout au long de sa vie qui sera conservé dans sa carcasse et incorporé aux sédiments marins.
En résumé, limiter nos émissions de gaz à effet de serre allégerait les pressions sur les écosystèmes, et protéger ces derniers préserverait leur action régulatrice du climat.
Des solutions vertueuses… et d’autres dangereuses
Les solutions se multiplient pour faire face conjointement aux crises climatique et de la biodiversité. Mais d’autres en atténuent l’une tout en aggravant l’autre. Un rapport co-publié en juin dernier par le GIEC et l’IPBES témoigne de ce souci croissant d’aborder ces défis en synergie, ce qui – toujours d’après ce rapport – n’a pas été le cas jusqu’à présent.
Il est primordial de prendre en compte la biodiversité dans les solutions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. « Il ne faut pas que la réponse au changement climatique se fasse au détriment des autres facteurs de pression », prévient Robin Goffaux. « Des technologies de séquestration du carbone font peser des inquiétudes fortes sur les milieux, comme la manipulation du climat, les technologies basées sur la BECCS, ou la plantation de forêts en monoculture ». Les méthodes de production d’énergie décarbonée exercent elles aussi une pression sur les milieux naturels. « Parmi les énergies renouvelables, expose Agnès Hallosserie (FRB), l’hydroélectrique peut modifier considérablement les écosystèmes. Pour les sources plus locales, des études d’impact sont nécessaires, pour éviter par exemple de placer des éoliennes sur les routes migratoires, de détruire des écosystèmes pour installer des fermes solaires, ou que les vibrations des éoliennes off-shore perturbent les mammifères marins. Cela dépend du choix des lieux ». Elle rappelle également que « l’énergie qui n’est pas produite est la meilleure pour la biodiversité », que « verdir nos modes de production n’est pas suffisant, il faut aller vers une réduction.
Les « solutions fondées sur la nature », concept qui monte depuis quelques années, ambitionnent notamment de limiter l’ampleur du changement climatique ou de ses effets en s’appuyant sur les écosystèmes. « Le principe est d’engendrer un retour favorable pour la biodiversité, en s’appuyant sur des écosystèmes fonctionnels, explique Agnès Hallosserie. Par exemple, préserver une forêt, plutôt que construire une station d’épuration, c’est une solution fondée sur la nature pour le traitement des eaux ». « La restauration des plaines d’inondation et des zones humides permettent de limiter les dégâts des crues, idem pour la protection des traits de côte (dunes, mangroves, récifs coralliens) face aux submersions marines », ajoute Nirmala Séon-Massin (MNHN). « Une des limites au développement de ces solutions, prévient néanmoins Robin Goffaux, est qu’il s’agit souvent de solutions consistant à « ne pas faire », sans création de richesses, ce qui est difficile à intégrer dans une logique de marché », contrairement aux solutions technologiques nuisant à la biodiversité évoquées plus haut. Agnès Hallosserie met de son côté en garde contre l’utilisation abusive de cette appellation pour des projets d’ingénierie verte qui ne profiteraient pas aux écosystèmes.
Paris est-elle vraiment concernée ?
A Paris, une biodiversité bien réelle
Le lien entre Paris et la biodiversité n’est pas forcément intuitif. Et pourtant, la ville a son rôle à jouer pour la protéger, et peut en tirer parti. « La nature en ville répond à différents enjeux, énonce Joël Amossé du Cerema, en limitant les effets des îlots de chaleur urbains, en favorisant la biodiversité, en améliorant le cadre de vie, la gestion des eaux pluviales ou encore en préservant les sols notamment pour l’agriculture urbaine… ». Les villes font d’ailleurs l’objet d’une section dans le dernier rapport des Perspectives mondiales de la diversité biologique, publié par la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB).
Paris, un carrefour biogéographique naturel qui compte peu de prédateurs et une mosaïque de milieux de vie, abrite de nombreuses espèces (Plan Biodiversité) :
- plus de 400 espèces de champignons et lichens ;
- plus de 700 espèces de plantes sauvages ;
- près de 1 200 espèces animales dont 800 insectes, 33 mammifères, 157 oiseaux, 11 amphibiens…
Découvrez les espèces qui composent la biodiversité parisienne grâce à l’Atlas de la nature à Paris
« Des études montrent qu’un milieu urbain est parfois plus favorable qu’un milieu agricole en termes de biodiversité », révèle Joël Amossé. « Entourée par des champs en agriculture intensive, la ville est un refuge pour plusieurs espèces », éclaircit Agnès Hallosserie. « On retrouve des espèces généralistes qui profitent des conditions de la ville, analyse Damien Carat du Cerema, comme certaines chauves-souris qui se nourrissent près des lampadaires. Souvent il y a un grand nombre d’individus mais d’une seule espèce ». Néanmoins, Paris n’est pas épargnée par la crise de la biodiversité. Elle a par exemple perdu 73 % de ses moineaux entre 2003 et 2016.
Des pistes pour rendre la ville plus favorable à la biodiversité
Les villes, en s’étalant et en se densifiant, exercent une pression directe sur sa biodiversité. « L’enjeu est de densifier la ville tout en laissant la place à la nature, voire en la développant », explique Joël Amossé, et de « laisser la biodiversité ordinaire des villes s’implanter, se déplacer, se reproduire, et disposer d’espaces favorables au bien-être des populations locales, développe Damien Carat (Cerema). Une manière est de reconstituer des réseaux d’échanges essentiels appelés corridors écologiques pour les déplacements d’espèces animales et végétales via les trames verte (végétation) et bleue (réseaux aquatiques), auxquelles on peut ajouter les trames brunes (sols) et noires (vie nocturne). Cela permet aussi de renforcer le rôle de la ville comme lieu de refuge et de passage au milieu de sa périphérie comme le préconise Agnès Hallosserie.
Il s’agit d’une part de préserver les milieux naturels existants, selon la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC), dans la perspective du « zéro-artificialisation nette ». Le premier réflexe doit être d’éviter qu’un projet ne porte atteinte au milieu, à défaut de réduire le plus possible les impacts, et en dernier lieu de compenser les impacts résiduels en désartificialisant une surface au moins équivalente écologiquement. D’autre part, il s’agit de renaturer des espaces et de déployer des solutions fondées sur la nature en ville. « Paris est un territoire où il y a des opportunités pour intégrer, dès la phase de conception, des solutions fondées sur la nature et un certain nombre de bonnes pratiques pour favoriser la biodiversité », évalue Damien Carat. Le Cerema a d’ailleurs développé une méthodologie pour identifier le potentiel de renaturation à l’échelle de l’unité urbaine parisienne, à travers notamment la prise en compte de la qualité des sols, les enjeux urbains (ex : îlots de chaleur urbain, inondations) ainsi que la mutabilité des espaces. Au-delà des projets de renaturation, un travail peut être mené au niveau des bâtiments, par exemple en les végétalisant lors des opérations de rénovation.
Changer ses comportements ici pour protéger la biodiversité ailleurs
Les pressions exercées par la ville sur la biodiversité ne se limitent pas à son territoire, mais elles découlent aussi des choix de consommations des urbain·es, via la déforestation importée par exemple. « La ville de Paris, estime Nirmala Séon-Massin, a un rôle à jouer pour offrir aux citoyen·nes un cadre pour adopter des comportements moins impactant », via des politiques visant à réduire la quantité de déchets et les émissions de gaz à effet de serre par exemple.
Paris est donc tout à fait concernée par la crise globale de la biodiversité. Tou·tes les acteur·rices du territoire ont leur rôle à jouer pour l’endiguer à leur échelle, et ainsi participer à un effort global visant à inverser la chute dramatique au niveau mondial. Cet objectif vit en ce moment une période décisive, on vous en parle dans la deuxième partie.