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Comment végétaliser les espaces publics à Paris ?
La Ville de Paris, en partenariat avec l’Agence Parisienne d’Urbanisme, a travaillé sur une étude permettant d’identifier les potentiels d’espaces publics à végétaliser. Benoît de Saint Martin, responsable de la Division Sites et Paysages de l’Agence d’Ecologie Urbaine de la Ville qui a piloté ce travail de plusieurs mois, a accordé un entretien à l’Agence Parisienne du Climat. Cet article propose de restituer les principes de la démarche entreprise et les conclusions de l’étude.
Renforcer le patrimoine végétal pour répondre aux défis de demain
La première phase de cette étude, dont le livrable a été publié sur le site de l’Agence Parisienne d’Urbanisme en juin 2020, nous rappelle que le patrimoine arboré de Paris est riche. Il est constitué de près de 500 000 arbres répartis entre les bois de Boulogne et de Vincennes, les parcs et jardins, et la voirie parisienne, ainsi qu’environ 100000 arbres plantés sur les parcelles privées en cœur d’ilot.
Un peu d’histoire…
Ces arbres sont en grande partie l’héritage des travaux entrepris au début du 19e siècle par Adolphe Alphand, directeur du service des promenades et jardins de Paris sous Napoléon III. Il avait alors créé de véritables promenades plantées, constitutives de l’armature de Paris. Il avait aussi imaginé des principes directeurs pour organiser la plantation de plus de 82 000 arbres à la fin du XIXe siècle.
Comme le souligne Benoît de Saint Martin, également architecte-voyer, les principes imaginés au XIXe siècle ont constitué « une véritable grammaire » du paysage de l’espace public parisien.
Malheureusement, l’avènement de l’ère automobile à partir des années 60 a dégradé cet héritage. La bitumisation et la réduction des trottoirs ont fait qu’à la fin des années 70, Paris comptait 13% d’arbres en moins qu’en 1900. Il faut attendre 2017 pour que Paris retrouve le même nombre d’arbres qu’au début du XXe siècle sur sa voierie, soit 100 000 spécimens.
En 2020, on compte 106 000 arbres d’alignement sur la voierie parisienne.
Nouveau siècle, nouveaux enjeux
Adolphe Alphand l’avait indiqué dès la fin du XIXe siècle : les arbres sont « indispensables pour renouveler l’air vicié d’une grande cité ».
Il est vrai que la présence de la nature en ville apporte de multiples bénéfices en termes de qualité de l’air, mais aussi de paysage, de bien-être des habitants, de santé.
« La végétalisation des rues permettra également de renforcer la biodiversité, de limiter les zones carencées en végétation, et de réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain inhérent à la ville dense» ajoute Benoît de Saint-Martin.
- Débitumer et végétaliser les sols permet en effet de réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain. La pleine terre et la végétation rafraîchissent l’air la nuit au lieu de le réchauffer, contrairement aux revêtements minéraux, très présents dans nos villes, qui emmagasinent la chaleur le jour pour la relâcher la nuit.
- Les arbres, qui transpirent de l’eau (ce qu’on appelle l’évapotranspiration) et fournissent de l’ombre en journée grâce à leur canopée végétale agissent comme des climatiseurs naturels.
La végétalisation permettra donc aussi d’améliorer considérablement le confort thermique des Parisiens, dans une ville qui devrait connaître 10 à 25 jours de canicule supplémentaires d’ici 2050.
Comme l’a annoncé récemment Christophe Najdovski, adjoint de la maire de Paris en charge de la végétalisation de l’espace public, les potentiels de végétalisation identifiés dans la deuxième phase de cette étude devraient permettre de débitumer et de végétaliser 100 hectares sur les voies parisiennes.
Quels objectifs de végétalisation?
La Ville de Paris s’est fixée via ses plans climat, biodiversité ou de gestion de l’eau les ambitions suivantes :
Atteindre 40% du territoire perméable et végétalisé d’ici 2040 et augmenter de 2 % l’indice de canopée d’ici à 2030.
Christophe Najdovski, a d’ores et déjà annoncé des projets de grande ampleur. Des études techniques sont en cours pour faire émerger des « forêts urbaines » dont une devrait voir le jour sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Il est également question de piétonniser et végétaliser le site reliant le champ de mars au Trocadéro. Plus récemment, la Maire de Paris a également annoncé la création de « ramblas vertes » entre Bastille et Stalingrad.
Les 170 000 arbres qui seront plantés ces prochaines années ne le seront pas uniquement dans les espaces verts que sont les parcs et jardins, les bois, mais le seront aussi sur les espaces contraints par la présence des réseaux, les places, et bien sûr dans les rues.
L’Agence d’Ecologie Urbaine de la Ville de Paris qui travaille depuis plusieurs mois sur cette étude prospective des espaces publics à végétaliser avec l’Apur a permis d’identifier d’autres sites potentiels de végétalisation, tels que les talus du boulevard Périphérique et les berges de Seine.
Une approche écosystémique
L’étude a tenu compte des enjeux liés au paysage, au renforcement des corridors de biodiversité, à la carence en végétation, ainsi qu’à l’accès des habitants aux îlots de fraîcheur nocturnes.
Les contraintes liées aux réseaux souterrains ont aussi été prises en compte, afin de privilégier la plantation d’arbres. De fait, un travail important de collecte des données a permis d’exclure certaines voies où la plantation d’arbres n’était pas possible du fait d’un encombrement des sous-sols (trop grande proximité des réseau d’assainissement, réseau de chaleur urbain, ouvrages d’infrastructures, etc.).
Les aménagements devront aussi tenir compte des contraintes d’aménagement présentes sur l’espace public : largeur minimale des trottoirs, accès réservé pour les secours, passages piétons, etc.
Les experts en Climat, Biodiversité, Qualité de l’air, Paysage, ainsi que des responsables des projets des rues Oasis et rues des Ecoles de la Ville de Paris rappellent néanmoins que
La sélection prioritaire des espaces publics à végétaliser devrait se porter sur les rues dans lesquelles il serait possible de planter des arbres, situées dans les secteurs chauds et carencés en espaces verts.
De quelle manière seront végétalisés les 100 hectares de voies parisiennes?
Cette démarche a permis de faire ressortir les voies parisiennes avec les potentiels de végétalisation les plus intéressants, autour des deux axes suivants :
- Renforcer le réseau des avenues plantées ;
- Créer des rues - jardins de proximité.
Sur les 100 hectares de voies parisiennes qui seront végétalisées, on estime que les avenues représentent environ 60% de cette surface et les rues- jardins environ 40%.
L’étude identifie huit actions prioritaires :
- Retrouver le caractère des promenades plantées sous les mails grâce à de la végétalisation basse
- Reconstituer les doubles alignements d’arbres historiques imaginés par Alphand et dont certains ont été supprimés à partir des années 60
- Améliorer la qualité paysagère des trottoirs plantés grâce à l’intégration de strates arbustives, de plantes grimpantes, de murs végétalisés
- Planter les voies de plus de 19 m avec des arbres alignés de chaque côté et de la végétation basse
- Planter les voies de faubourg de 11 à 19 m avec des arbres alignés d’un seul côté et de la végétation basse
- Végétaliser à proximité des écoles, en plantant ponctuellement des arbres et installant de la végétation basse
- Végétaliser à proximité des parcs et jardins, cimetières et parcs sportifs, en plantant ponctuellement des arbres et installant de la végétation basse
- Végétaliser les voies courtes et résidentielles en plantant ponctuellement des arbres
Il s’agit donc de planter des arbres quand cela est possible, mais aussi de travailler sur la complémentarité de la végétation haute (les arbres) et de la végétation basse et intermédiaire (les arbustes, les plantes grimpantes, les massifs etc.). Cette complémentarité est indispensable et permettra de retrouver le paysage des promenades plantées, désimperméabiliser les trottoirs et favoriser davantage la biodiversité.
L’esquisse représente la rue Etienne Marcel, voie d’une largeur de plus de 19m qui pourrait bénéficier d’un alignement d’arbre unilatéral / Crédits photo APUR
Exemple d’une rue aux écoles végétalisée et apaisée, rue de Bruxelles (Paris 9e) / Crédits photo APUR
Benoît de Saint Martin souligne que les directions opérationnelles ont déjà entrepris un travail collectif pour répondre à l’objectif « d’apaiser et planter environ 50 rues aux écoles par an ».
L’élu Christophe Najdovski a également annoncé que « 100 rues oasis » seront créées dans la mandature. Elles viendront compléter le maillage des plus de 900 îlots de fraîcheur répertoriés, auquel contribue également le programme des cours d’écoles dites « oasis » qui a déjà permis de transformer plus de 30 cours d’écoles en îlot frais.
L’espace libéré par la suppression de 60 000 places de stationnement de surface, objectif de la mandature, pourrait également être mis à contribution pour végétaliser les rues et planter des arbres, en alternance avec d’autres fonctions.
Afin de limiter la nuisance de ces travaux d’aménagement sur les riverains, la Ville de Paris travaille sur une méthode qui permettra de synchroniser les travaux à l’échelle du quartier. Ce projet est porté par l’adjoint de la maire de Paris en charge de la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition écologique du bâti, Jacques Baudrier.
Comment intégrer la question de l’eau ?
La question de l’arrosage est également primordiale. Les équipes réfléchissent ainsi au rôle que pourrait jouer le réseau d’eau non potable, qui sert à irriguer certains espaces verts, et à des systèmes intégrés qui pourraient permettre de stocker l’eau et d’irriguer certaines plantations même en période de stress hydrique. Lorsque la débitumisation n’est pas possible, l’installation de certains revêtements poreux permettra de favoriser l’infiltration de l’eau de pluie dans les sols.
Désimperméabiliser et restaurer le cycle naturel de l’eau, c’est aussi tout l’enjeu du plan Paris Pluie, et d’une ville résiliente. La présence de l’eau, même souterraine, est en effet indispensable au développement de la végétation et permet d’augmenter l’effet rafraîchissant de la végétation.
Comme l’avait fait Alphand à son époque, le défi est de réintroduire la nature dans les espaces publics pour répondre aux enjeux de paysage, bien-être, de biodiversité, et à ceux imposés par le changement climatique. Cette étude est une première étape et un outil pré-opérationnel qui permettra de végétaliser d’avantage les voies parisiennes ces prochaines années.