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Changer les comportements vers des pratiques plus durables
Les scientifiques et les experts appellent à un changement urgent : il nous reste 2 années pour agir afin de limiter les conséquences du réchauffement climatique et maintenir le cap des 1,5 degrés. Pourtant malgré tous ces signaux d’alerte, le véritable changement peine à arriver. Tentative de décryptage avec Chantal Derkenne, sociologue à l’ADEME sur le thème de « Evoluer, changer, aller vers des pratiques et des modes de vie durables ».
Le 19 janvier dernier, l’Agence Parisienne du Climat recevait les Volontaires du Climat et associations parisiennes dans le cadre d’un atelier sur les changements de comportements vers des pratiques plus durables. Retour sur l’intervention de Chantal Derkenne, sociologue à l’ADEME, afin d’apporter quelques éclairages sur les freins et motivations aux changements de comportements.
Quelles sont les conditions qui amènent à un changement ?
De multiples circonstances mènent à des changements, des évolutions. Les déterminants du comportement des individus sont complexes. Pour les décrire, on doit observer leurs multiples dimensions aux différentes échelles d’observation : de l’individu seul aux catégories sociales en passant par les petits groupes auxquels l’individu appartient, de même que l’environnement physique et matériel dans lequel il évolue.
Ainsi si l’on porte la focale sur l’individu, les facteurs déclencheurs d’un changement de ses pratiques, de ses habitudes peuvent s’expliquer par :
- ses capacités financières,
- ses apprentissages,
- sa situation professionnelle,
- une rencontre marquante,
- un déménagement,
- l’arrivée d’un enfant, etc.
Le groupe d’individus, les relations interindividuelles vont également jouer un rôle et influencer l’individu, c’est la force du conformisme social. Et en continuant d’élargir la perspective en arrive-t-on à considérer les déterminants collectifs du changement de comportement : les réalités économiques, sociales et matérielles de la société dans laquelle il évolue contraignent également l’individu dans ses choix.
Pensez-vous que notre société soit prête à changer ?
La société est toujours prête à changer… cela dépend pour quoi ! Certaines innovations pénètrent et modifient nos pratiques à des vitesses extrêmement rapides, il suffit pour cela de songer à l’usage des smartphones et d’internet. Ces évolutions s’expliquent par le bénéfice qu’elles apportent aux gens. Plus généralement les individus sont prêts à changer si cela leur facilite la vie (c’est plus pratique, c’est moins cher, cela me fait du bien, etc.).
La transition énergétique et plus anciennement le développement durable remettent en cause plus en profondeur notre mode de vie et n’apportent pas nécessairement à court terme des bénéfices individuels. Certes des mouvements alternatifs émergent néanmoins la société peut aussi donner l’impression d’être engourdie dans un modèle consumériste très dominant. Le schéma persistant reste semble-t-il celui d’une société qui se développe grâce à la croissance et la consommation de biens matériels toujours plus abondants.
Quelles sont les réticences principales au changement dans notre société ?
Des raisons structurelles, l’organisation matérielle de nos vies, de nos habitudes, sont porteurs d’une forte inertie. A cela s’ajoute un manque de vision de nos futurs possibles. Des crises profondes à la fois environnementales et sociales ont vu le jour et l’idée de progrès pose aujourd’hui question. Pour autant les perspectives concrètes d’une autre façon de se développer qui remplacerait l’actuelle ne sont pas dessinées clairement.
En outre, non seulement nous ne savons pas bien où nous pourrions aller ni comment, mais nombre d’acteurs ont à perdre dans les évolutions profondes exigées par l’impératif écologique. Les « gagnants » du système actuel résistent au changement : difficile de transformer en profondeur son activité quand on est une compagnie pétrolière ou gazière, un industriel automobile, une entreprise de produits phytosanitaires, … sans compter les conséquences pour tous les acteurs consommateurs de ces activités, c’est-à-dire nous tous…
Quelle est la part de l’individuel et la part du collectif dans le changement ?
Dans l’évolution de modes de vie, de pratiques ce n’est pas un individu isolé qui est concerné, c’est tout un système d’acteurs. Si l’on souhaite favoriser les déplacements réguliers en vélo par exemple, vous devez pouvoir acheter, entretenir, ranger votre vélo, circuler avec un sentiment de sécurité, etc. sont donc nécessaires des commerces (vendeurs, loueurs, réparateurs, …), des aménagements (pistes cyclables, aires de stationnement public, local dans les immeubles etc), des réglementations (prise en compte des déplacements cyclistes comme des déplacements professionnels) … Ce n’est pas donc pas l’engagement d’un cycliste seul qui est suffisant - même si bien sûr des pionniers existent toujours.
Comment peut-on accompagner le changement pour qu’il se passe dans de meilleures conditions ?
Il faut à la fois raisonner sur le système d’acteurs et sur les individus :
- Identifier l’ensemble des acteurs impliqués et n’oublier personne, à la fois ceux dont l’activité va se développer et ceux qui vont perdre tout ou partie de leur activité. Si l’on souhaite par exemple favoriser une alimentation moins carnée, les conséquences seront importantes pour les filières d’élevage. Les chances de succès sont liés à la qualité d’accompagnement des potentiels « perdants ».
- Se mettre à l’écoute et partir de là où les individus se trouvent, mesurer si les évolutions demandées sont possibles, atteignables, réalistes. Ont-ils les moyens financiers nécessaires ? Ont-ils le temps disponible ? Pourraient-ils en avoir l’envie ?
Par exemple demander à de jeunes mères actives dont l’emploi du temps est minuté de remplacer les couches jetables par des couches lavables peut paraître difficile… De même toute mesure économique (taxe à la consommation de produits polluants) pèse différemment selon les niveaux de revenus des individus. Il est alors crucial de mettre en place des compensations pour les populations les plus impactées.
Comment les associations doivent-elles s’y prendre pour conduire le changement ? Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
Les associations sont animés d’un esprit militant dynamique. Elles sont « habitées » par leur conviction. C’est à la fois leur force et le sujet à travailler. En effet si cet enthousiasme leur permet de mobiliser, de donner du temps, d’insuffler une dynamique, il ne doit pas les empêcher d’aborder aussi les questions de changement de façon pragmatique. S’adresser à des publics cibles, se demander ce qui est accessible, possible de faire très concrètement par ces publics pour délivrer des messages adéquats et réalistes.
Atelier «Changeons les comportements, pas le climat» organisé par l’Agence Parisienne du Climat le 21 janvier 2019